Les deux pays
« Au pays des parents vivent une femme et son mari.
Dès le matin, dans les maisons qui les entourent, ils entendent des cris et des rires, ils voient tous les volets s’ouvrir et des enfants courir dans les jardins.
Mais leur jardin à eux reste silencieux et leur grande maison reste vide parce qu’ils n’ont pas d’enfants…
Souvent, derrière sa fenêtre, la femme regarde des mamans donner le biberon à leurs enfants et elle pense :
- dans mes bras aussi, il y a la place d’un enfant.
Souvent, l’homme regarde des papas se promener avec leurs enfants et il pense :
- mes épaules aussi sont faites pour montrer le monde à un enfant.
Ce sont des parents sans enfants.
Alors un soir, la femme dit :
- Ce n’est pas parce que je ne peux pas porter un enfant dans mon ventre, que je ne pourrais jamais en porter dans mes bras. J’ai entendu parler d’un pays où les enfants ont des mamans pour les porter dans leur ventre et leur donner la vie. Mais où, une fois nés, ils n’ont plus de parents à aimer. Ce sont des enfants sans parents.
Là-bas, sûrement, un enfant nous attend.
Aussitôt, ils partent à la recherche de ce pays. L’homme marche à grand pas, la femme court en murmurant : - J’ai hâte, tellement hâte de serrer cet enfant contre moi.
Quand soudain, un géant apparaît. Il est très grand et il voit très loin et comme il est très gentil, il a envie de les aider.
Alors, il les soulève du sol entre deux de ses doigts pour leur montrer là-bas, tout là-bas, le chemin du pays qu’ils cherchent.
Mais quand il les repose par terre, l’homme et la femme sont tout tremblants.
Le géant part en soupirant : - eh oui, quand on est grand, on peut faire peur aux tout-petits.
Le cœur battant, ils repartent dans la nuit.
Tout bas, le mari dit à sa femme : - Tu sais, si c’est une fille, j’aimerais beaucoup qu’on l’appelle Claire.
Et tout doucement, la femme répond : - Et moi, si c’est un garçon, j’aimerais beaucoup l’appeler Jean.
Soudain, ils aperçoivent une ombre minuscule. C’est un lutin qui leur fait de grands signes.
- Ah ! Ah ! Vous alliez passer sans me voir et pourtant, c’est moi qui dois vous montrer le chemin. D’ailleurs, ce sont souvent les petits qui montrent le chemin aux grands …
- Alors, le cœur joyeux, l’homme et la femme suivent le lutin. Il les fait grimper sur une immense montagne et il leur dit : - Regardez, c’est tout droit qu’est le pays que vous cherchez !
Et comme la femme soupire : - Mon dieu, que c’est loin encore !!
Un oiseau s’envole en criant : - un enfant vient toujours de loin, de très loin, de très très loin.
Le cœur léger, l’homme et la femme reprennent leur marche.
Et quand enfin ils arrivent au pays qu’ils ont tant cherché, une petite fille les attend.
Ils sont comme tremblants du désir de courir vers elle. Mais ils se souviennent des paroles du géant : - quand on est grand, on peut faire peur aux petits.
Et ils restent là, sans bouger.
Tout doucement, la petite fille s’approche et elle pose sa main sur celle de l’homme.
En voyant cette petite main brune sur sa grande main blanche, l’homme se souvient des paroles du lutin : - ce sont souvent les petits qui montrent le chemin aux grands.
Et il sourit : - Ah non, ma fille, je ne t’appellerai pas Claire, c’était le nom d’une petite fille imaginaire, mais toi, tu m’apprendras ton nom à toi, et qui tu es, et comment être ton papa.
Et puis la petite fille court se blottir dans le cou de la femme.
Et là, dans ce bras de maman, elle s’endort paisiblement.
En la regardant ainsi endormie, la maman murmure : - ma fille, ma petite fille, ma déjà grande fille, c’est normal, je t’ai portée dans mon cœur si longtemps qu’aujourd’hui où enfin nous nous sommes rencontrées, tu sais déjà courir et marcher !
Depuis ce jour, au pays des parents, la grande maison n’est plus vide.
Dès le matin, on voit tous les volets s’ouvrir et on entend des cris et des rires.
Et quand un enfant demande : - c'est drôle, votre fille, elle n’a pas la même couleur que vous.
Les parents pensent aux paroles de l’oiseau et ils répondent fièrement :
- Oui c'est vrai, elle vient de loin et à chaque fois qu'elle pose sa petite main sur la nôtre, elle nous rappelle que la vie vient toujours de loin, de très loin, de très très loin.... »